L’enfant grandit dans une société qui place au cœur des relations humaines la compétitivité. Dès l’âge de 2 ans, ce petit être prend conscience du regard évaluateur que les autres portent sur lui. Apparaissent alors les premières préoccupations vis-à-vis de l’acceptation sociale, le besoin d’être valorisé et reconnu. L’enfant adopte alors de nouvelles attitudes pour plaire, développe des stratégies de séduction et de manipulation. Viennent au jour les sentiments de honte, d’embarras et de culpabilité.
Cette propension de l’enfant à se comparer et s’évaluer est indissociable du besoin primordial d’affiliation avec autrui. La survie de cet être immature dépend de ce besoin. L’enfant est ainsi particulièrement sensible à la peur du rejet social, crainte profondément enracinée dans notre biologie et notre évolution.
Baigné dans une culture qui valorise la perfection, très tôt évalué, jugé sur ses goûts et ses comportements, poussé à l’excellence scolaire, classé dans diverses compétitions sportives, soumis aux standards vestimentaires, l’enfant est confronté régulièrement à la crainte existentielle d’être exclu de son groupe social.
Ces expériences émotionnelles se poursuivent à l’âge adulte, « un poison de l’âme » nous dit Boris Cyrulnik avant d’ajouter, en parlant de la honte, « qu’elle peut durer deux heures ou vingt ans ». Les adultes et parents que nous devenons gardent cette disposition à se juger sévèrement. Nos enfants, sont éduqués par des parents préoccupés, qui se blâment quant à leurs compétences de parents, eux même aux prises d’une crainte existentielle de rejet, et qui, dans leur caverne de Platon, essayent d’exercer encore plus de contrôle sur leurs enfants. Dans une course frénétique, les parents amènent leurs enfants à l’école, aux activités extrascolaires puis chez l’orthophoniste ou le psychologue, prisonniers d’une culture normative et en lutte constante pour garantir le meilleur avenir à leur enfant.
Nous recevons alors ces enfants dans nos cabinets. Il faut les normaliser, les réparer, éteindre leur douleur, accroître leur estime d’eux. Pouvons-nous saisir l’occasion de cette rencontre pour planter une graine et donner aux parents l’arrosoir pour que puisse s’épanouir une relation plus compatissante à soi et à l’autre ?
Peut-on utiliser l’incroyable pouvoir de notre cerveau pour rêver et imaginer un modèle psychothérapeutique intégratif qui prend soin de l’enfant et de la relation avec son parent ? Le cœur serait le développement de la compassion, les poumons la pleine conscience, l’acceptation des émotions et les bras et les jambes l’expérimentation, l’engagement vers ses valeurs.
Durant cette aventure avec l’enfant, nous pouvons imaginer emprunter différents chemins, riches d’explorations et de découvertes. Nous pouvons les guider dans les expérimentations de nouvelles stratégies visant le bien-être. Nous pouvons leur apprendre à ralentir, à découvrir, accueillir, reconnaître et comprendre leurs émotions, ces émotions dont ils veulent déjà se débarrasser (à l’instar de leur parent). Nous pouvons les conduire à percevoir le trésor que leur offre ces sensations, expérimenter la compassion, apprendre à se voir soi-même et les autres avec un changement de perspective.
A l’issue de ce voyage, nous avons à cœur d’avoir placé l’expérience de l’enfant dans une humanité commune, qu’il ait compris qu’il n’est pas seul à vivre cela, que ce n’est pas de sa faute si son cerveau est compliqué et le monde qui l’entoure l’est encore plus. Nous souhaitons qu’il comprenne que les stratégies qu’il a mis en œuvre jusqu’à maintenant pour se protéger lui ont permis de s’adapter à cela mais qu’il est possible d’agir différemment.
Pouvons-nous rêver de placer la parentalité au cœur de ce processus thérapeutique ? Pouvons-nous pousser ce rêve encore plus loin et penser l’éducation, la co-éducation différemment ? Pouvons-nous imaginer un monde où les adultes, les professionnels de l’enfance apprendraient à moins se dévaluer dans leur rôle et ne plus embarquer l’enfant dans cette compétition, leur compétition ? Pouvons-nous envisager ce monde empli d’adultes capables de communiquer avec eux-mêmes avec bienveillance, servant de modèle à leur progéniture? Pouvons-nous créer ce monde avec des adultes capables de se connecter avec les émotions difficiles de leur enfant, ne cherchant pas à résoudre un problème, éteindre ce qui est là.
Et si l’on pouvait planter cette graine et permettre aux éducateurs de l’arroser afin que l’arbre de la compassion grandisse et produise de beaux fruits, panacées aux souffrances inhérentes au modèle social qui nous est offert.
C’est tout cela que nous avons à cœur, ma collègue et amie Charlotte Rourra et moi-même en réfléchissant à une intervention psychothérapeutique basée sur la compassion pour les enfants, les adolescents et leurs parents.